4000 euros de prime de reconversion : avancée ou gadget inutile?
Suite au mécontentement généralisé provoqué par la hausse des taxes sur les carburants, le Gouvernement a tenté de se racheter en proposant une hausse drastique de la prime à la reconversion. À qui va t-elle vraiment profiter ? Analyse.
Le climat s'obscurcit drastiquement pour le Gouvernement en ce mois de Novembre. La semaine du 11, Gérald Darmanin avait fait part de l'intention du fisc de surveiller les réseaux sociaux. La décision a été décriée par l'opposition dès le dimanche d'armistice, et reprise médiatiquement dès le dimanche soir. Mais avant cela, la hausse de la taxe diesel, qui fait partie des promesses d'Emmanuel Macron à la présidentielle, était médiatisée dès le 22 octobre, juste après l'annonce de la hausse du prix des carburants à l'international. Le mécontentement lié à cette mesure n'a fait que de grimper tout au long du mois, pour atteindre un premier point culminant ce week-end, avec la fameuse taxe des gilets jaunes.
Conscient de l'ampleur que prenait l'affaire, le Premier ministre a annoncé, sur R.T.L., un ensemble de mesures de nature incitative : déficalisation des aides au covoiturage, augmentation du chèque énergie, élargissement des indemnités kilométriques et hausse de la prime à la reconversion.
C'est cette dernière qui a le plus été mise en avant par l'exécutif et les média, puisque le maximum obtensible passera de 2500 à 4000 € , sous condition de figurer parmi les 20% les plus modestes. D'après le Huffington Post, il aurait finalement dit que la hausse de cette prime bénéficierait aux deux premiers déciles. Cela correspond aux Français gagnant moins de 12500 € par an, soit moins de 1041,67 € par mois. Autrement dit, des salariés payés au SMIC obtiendront nécessairement moins de 4000 €, puisque le SMIC est aujourd'hui de 1148,96 €
Etonnant, puisqu'Edouard Philippe annonçait, au même moment, qu'un couple de Français de trois enfants au SMIC serait bénéficiaire de cette prime, et qu'il pourrait en être de même pour un couple avec deux enfants dont l'un des adultes toucherait 1,8 SMIC. Une incertitude, alors que les cas cités précédemment, sont incontestablement des situations précaires. Intéressons-nous maintenant aux prix des véhicules. Voici des tableaux indiquant les prix les moins chers du marché pour les véhicules hybrides et électriques disponibles en France :
Il n'est pas anodin de réitérer les recherches pour une citadine, un break, un utilitaire ou un 4x4, parce que pour certaines professions, une voiture n'est pas qu'un moyen de locomotion, mais un outil de travail indispensable. Pensons, par exemple, à des commerçants habitués des marchés, ou à n'importe quel artisan, qui n'aura aucun intérêt à acheter une citadine, mais préfèrera un break ou, encore plus adapté, un utilitaire.
Notons d'abord que les hommes politiques de premier plan qui ont jugé la mesure inutile (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan) ont eu tendance à exagérer le prix des voitures électriques : "au bas mot 22 000 €" pour Marine Le Pen, "20 000 €" pour Nicolas Dupont-Aignan sur LCI... Et que si on peut parler d'un grossier arrondi du prix du neuf, sur le marché de l'occasion, c'est tout à fait autre chose. L'opposition partisane est donc disqualifiée sur le fond et sur ce point.
En revanche, l'on constate que les prix indiqués pour l'occasion correspondent à des véhicules ayant déjà un certain âge, donc passibles d'être interdits dans certaines villes dans quelques années. Est-ce plus intéressant d'acheter un véhicule à 5000 € pour quatre ans, ou un véhicule à 15 000 € pour vingt ans ? Le choix est sans équivoque, quelque soit le budget du ménage concerné.
C'est donc plutôt vers 15 000 € que l'on va trouver des véhicules d'occasion, utilisant l'une de ces deux technologies, et doté d'un jeune âge. Finalement, l'occasion est à peine plus intéressant que le neuf, et surtout, moins fiable, car sujet à des arnaques.
Pour les tarifs considérés (de 15 000 à 22 000 €), il convient de mentionner que les personnes ciblées par la hausse de la prime de reconversion touchent moins du dixième du prix d'achat de ces voitures. Il leur sera donc très chronophage d'économiser pour s'acheter un nouveau véhicule, puisqu'au 1040 € de salaires, il faut enlever le loyer (pour un couple hors Île-de-France il peut s'agir de loyers entre 700 et 1000 €, voire plus, à diviser par deux en cas de partage), la consommation alimentaire (à laquelle s'ajoute celle des enfants) et les frais annexes : imposition, abonnements téléphone et/ou internet... Tout cela mis bout à bout, ne laisse plus grand chose des 1040 € de salaire, même multipliés par deux dans le cas d'un couple. Selon les cas, impossible de mettre de l'argent de côté, et la hausse des taxes sur les carburants ne fait qu'aggraver la situation. Le prix du baril de pétrole a déjà beaucoup augmenté ; il n'était donc pas forcément pertinent de faire passer la différence de prix, de très grande, à énorme. La hausse de la prime de reconversion ne va donc réellement profiter qu'à très peu de personnes.