Erdogan, prochaine fêlure d'une "démocratie" fantôme ? Dimanche dernier se disputait un second tour inédit entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan (AKP, islamoconservateur), et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu (CHP, réputé centre gauche). Une campagne lors de laquelle se sont succédées les dérives droitières incitant à la haine. Une nouvelle occasion de réinterroger la sincérité de la démocratie turque...
L'extrême droite partout
...En premier lieu sur sa diversité idéologique. Erdogan est lui-même issu de l'extrême droite islamiste (Milli Gorus), et a multiplié les attaques personnelles. Tantôt s'en prenant aux LGBT, tantôt en critiquant les origines ethniques et religieuses de son adversaire kémaliste. Il gouverne d'ailleurs depuis 2018 avec le soutien du MHP, parti d'extrême droite radicale dont la branche paramilitaire, les Loups Gris, est ouvertement négationiste, raciste et homophobe. En face, le CHP, héritier de l'idéologie "kémaliste" révolutionnaire, ne fait guère mieux. Son principal allié est le "bon parti", scission des nationalistes du MHP restée extrémiste et négationiste... et surtout, le SP, courant d'extrême droite dont Erdogan est issu avant d'arriver au pouvoir en 2002. Le candidat kémaliste avait d'ailleurs fait un pas vers eux en revenant sur ses positions d'interdire le voile à l'école et à l'université. Face à eux deux, le troisième candidat, Sinan Ogan, est, lui aussi, un ancien du MHP faisant campagne sur le grand remplacement et des positions violemment anti-kurdes. Seul le HDP, de gauche écologiste pro-kurde, ne fait preuve d'aucune compromission avec la droite radicale.
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Un scrutin déjà contesté
De ce scrutin émerge, d'abord, la tenue d'un second tour, fait inédit depuis la réforme constitutionnelle de 2017. Erdogan ne récoltant qu'un peu plus de 49%. Il parvient à transformé l'essai lors du second tour grâce au ralliement d'Ogan, l'autre candidat d'extrême droite. En plus de ce contexte serré, les conditions de vote sont contestées à l'international. Le Conseil de l'Europe dénonce le langage incendiaire employé par le président sortant et par son allié nationaliste Devlet Bahceli. Ce dernier évoque "une fin douloureuse" pour ses adversaires, ("peine de prison à perpétuité", "balles dans le corps"). Les institutions européennes critiquent également le recul prononcé de la liberté d'expression et la violente répression judiciaire que subissent les militants et cadres du HDP, dont les co-présidents sont derrières les barreaux. La partialité des médias fait également débat. L'ensemble des faits est par ailleurs précédée par la candidature même du président Erdogan, que certains estiment anticonstitutionnelle.
Ce qu'aurait changé une victoire kémaliste
Et pourtant, une victoire du kémaliste Kiliçdaroglu n'aurait pas apporté un changement bouleversant. Certes, l'une des six valeurs fondamentales du kémalisme est la laïcité. Mais le kémalisme la perçoit avant tout comme une absence totale et radicale de religion dans l'espace public... devenant un excellent prétexte pour empêcher toute religion autre que l'islam de s'implanter en Turquie. Le même paravent d'un discours non-neutre que peut porter, par exemple, le Parti Chrétien-Démocrate en France. Les positions du CHP en termes de politique étrangère sont, par ailleurs, assez proches de celles de l'AKP, voire plus violentes à l'égard de la question arménienne. La véritable différence pourrait être perçue par les turcs eux-même, à l'échelle nationale. L'accaparation de la démocratie observée de la part des erdoganistes pourrait au moins s'atténuer avec un changement de couleur politique. En attendant, le sujet de la sincérité du scrutin n'est toujours pas complètement tranché...
VIDEO :https://www.youtube.com/watch?v=cqZbNZmLyk8