TRIBUNE : L’attaquant de Charlie Hebdo et le contexte social au Pakistan
Les récentes attaques à proximité des anciens locaux de Charlie Hebdo ont contribué à l'émergence d'un climat délétère, entravant la liberté d'expression. Dans cette tribune, Augustin Herbet relève que l'origine pakistanaise de ses auteurs n'est pas anodine, au regard du contexte judiciaire et social du pays.
La loi loi anti blasphème au Pakistan
Voilà quelle a été la réaction très commentée sur les réseaux sociaux du père de l’attaquant terroriste ayant voulu cibler Charlie hebdo, et ayant grièvement blessé deux employés de la société de production Premières Lignes.
En soit, celle-ci est très intéressante car elle n’est pas surprenante. Je m’explique : le Pakistan est un pays disposant d’une loi anti « blasphème », s’appliquant de manière très large et pesant comme une épée de Damoclès sur chaque personne appartenant à une religion non-musulmane, ou considérée comme telle (pour l’ahmadisme). Pour voir à quel point cette notion est présente dans l’univers social au Pakistan, l'on peut se référer à ce reportage d'Arte.
L’auteur a d’ailleurs été socialisé dans des associations soufies barelvies, qui prônent l’application d’une peine pour blasphème, et sont liées à l’une des factions islamistes (non djihadistes au sens ne prônant pas la lutte armée) présentes dans le champ politique pakistanais. On peut enfin noter la récente position du Premier ministre pakistanais sur Charlie Hebdo.
Condamnations à mort
La définition du blasphème, comme pénalement punissable, est si fortement installée (uniquement quand le dit blasphème concerne l’islam, d’ailleurs) que les opposants à ces lois réprimant le blasphème se concentrent sur ses « mauvais usages », sans, toutefois, oser, pour la plupart, attaquer le principe en lui-même (et mènent déjà un combat héroïque leur valant des menaces de mort). Exemples de ces « mauvais usages » : le blasphème par SMS, ou un avocat fournissant un pistolet à un adolescent, afin de tuer un citoyen américain « blasphémateur » . Il faut noter que les tentatives de conversions forcées à l’islam ne rentrent pas dans la définition du « blasphème ».
Dans l'univers politique et social pakistanais, une femme chrétienne a pu être condamnée à la peine de mort pour avoir répondu à des insultes sur sa religion et des menaces sur sa personne :
« Je crois en ma religion et en Jésus-Christ qui est mort sur la croix pour les péchés de l’humanité. Qu’a fait votre prophète Muhammad pour sauver l’humanité. Et, pourquoi devrais-je me convertir et cela ne devrait pas être à vous de vous convertir ? »
Charlie et le "blasphème"
Il est logique que des gens adhérant à cet univers mental et social considèrent que les caricatures de Charlie Hebdo soient un crime méritant la mort. L'assassinat pour « blasphème » est considéré par l'idéologie dominante pakistanaise comme un acte héroïque. L'assassin de Salman Taseer, qui était le gouverneur du punjab ayant critiqué l’application de la loi pour blasphème dans le cas d’Asia Bibi, est vénéré par des islamistes comme un sain. Charlie Hebdo assumant d'être blasphémateur (au sens de n'avoir aucun respect pour les figures divines/sacrées), il est considéré comme un signe de déviance. Et, bien sûr, de trouble à l'ordre social gravissime et insoutenable.
Or, des gens, au Pakistan, luttent contre les lois sur le « blasphème » et les crimes qui en découlent au niveau médiatique ou politique. Mais, ils sont en marge de l’opinion dominante et de la fenêtre d’Overton du débat acceptable pour l’instant. Il faut les soutenir. Ne pas avoir peur, également, de la confrontation entre modèles idéologiques. Ne serait-ce que car le curseur de l’acceptable, ou non, en France, impacte également le curseur de la fenêtre d’Overton ailleurs dans le monde. Nous le devons à ceux qui luttent là bas. Et nous le devons à notre pays.
Samuel Paty, triste suite logique
En effet, le meurtre de Samuel Paty est logique pour ses assassins dans l’état d’esprit islamiste que nous avons décrit. Au Pakistan, il est considéré comme normal de tuer non seulement les « blasphémateurs » (nous avons vu la catégorie très large que cela implique même ceux critiquant l’application). Charlie Hebdo assumant d'être blasphémateur, il est normal que pour des gens convertis à ce logiciel islamiste, il soit considéré comme à combattre. Et, que ceux le diffusant pour enseigner la liberté d’expression soient vus comme des ennemis en terme de système de valeur. L’ennemi nous désigne comme son ennemi; il faut être conscient qu’il le fait, et l’affronter sans répit.