Le fédéralisme européen en 2019 avec Yves Gernigon
Le fédéralisme européen est un courant qui a toujours existé avec la Communauté économique européenne, puis l’Union européenne, bien que longtemps marginalisé. Pour en parler, nous sommes aujourd’hui avec son représentant en France, le président et tête de liste du Parti fédéraliste européen Yves Gernigon.
Aloïs Lang-Rousseau : Quelles sont les deux principales raisons qui vous ont amené à vous présenter aux élections européennes ?
Yves Gernigon : La première, c’est que l’Europe soit unie et forte sur la scène internationale. Elle doit pouvoir acquérir une diplomatie, faire respecter ses valeurs et ses intérêts. Le deuxième combat, c’est d’avoir une Europe beaucoup plus juste socialement. Aujourd’hui, elle s’est constituée comme un vaste marché, et les politiques européennes ne sont pas toujours aussi sociales qu’elles devraient l’être.
Je pense en particulier à la directive des travailleurs détachés. Si vous êtes cadre, tout va bien pour vous, vous pouvez avoir une belle place dans l’industrie et la finance partout en Europe ; par contre, si vous avez une profession moins bien lotie (routiers, artisans, métiers du bâtiment), vous êtes concurrencé par des travailleurs à bas coût issus des Etats de l’Est, et ce n’est pas très juste socialement.
A.L.R. : Quel groupe parlementaire et quelle commission rejoindrez-vous en cas d’élection ?
Y.G. : Pour le groupe parlementaire, c’est le groupe ALDE, avec lequel on a travaillé pour l’élection précédente. Il y a toujours des négociations préalables, mais c’est notre allié naturel. Guy Verhofstadt, je l’ai déjà rencontré, c’est la seule personnalité ouvertement fédéraliste en off et devant les caméras, alors que tous les autres osent à peine prononcer le mot quand une caméra s’allume ou un micro se tend.
Par ailleurs, on serait aussi au groupe Spinelli, qui est un groupe informel au Parlement européen, regroupant les fédéralistes.
Sur les commissions, je m’intéresse à celles sur les affaires constitutionnelles, les affaires étrangères et les affaires économiques et monétaires. On ne va pas toutes les citer, ce serait surtout celles-là.
A.L.R. : Selon vous, le rôle d’un eurodéputé français est-il de défendre l’Europe ou la France ?
Y.G. : C’est avant tout, pour moi, de défendre l’Europe et l’intérêt général européen. Pour défendre des intérêts de la France, il faut faire campagne en France.
A.L.R. : Comment jugeriez-vous le pouvoir du Parlement européen, par rapport à la Commission : est-il important, faible ou suffisant ?
Y.G. : Il est faible et insuffisant. Il n’y a que la Commission qui ait le droit de proposer des projets de loi. Le Parlement n’en a pas le droit.
Nous sommes pour la suppression de la Commission et son remplacement par un Gouvernement, responsable devant le Parlement et avec des compétences partagées au niveau des propositions de loi. Les deux doivent avoir cette possibilité.
A.L.R. : Le Parti des citoyens européens, candidat lui aussi, parle notamment de République européenne, et d’un Premier ministre et un gouvernement de l’Union européenne. Que pensez-vous de cette proposition ?
Y.G. : On se connaît très bien avec le PACE, je connais très bien Philippe Mazuel et Audric Alexandre. On en a déjà parlé, et là-dessus on a le même point de vue.
A.L.R. : Quelle est la principale qualité et quel est la principale carence du début de quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Y.G. : Sa principale qualité, c’est d’être européen affirmé. Tout le monde avait lâché un peu l’affaire, mais lui, il avait quand même placé sa campagne présidentielle sous l’égide de l’Europe et la défense du projet européen ; c’est une très bonne chose.
Après, le problème, c’est qu’il est Président de la République française. Pour moi, c’est sa principale carence. C’est fort parce qu’il peut dire que la France est très européenne, et s’engager très profondément dans la construction européenne. Mais en même temps, le fait qu’il soit Président de la République française, ça invalide toute cette volonté européenne, parce qu’un Président de la République française défend avant tout les intérêts de la France.
Je pense que l’Europe avancera avec des gens qui seront moins impliqués dans la politique nationale. Cependant, il faut quand même avoir un pied dedans, parce que sinon, on ne comprend rien à l’affaire. Donc il faut avoir une expérience politique nationale, avoir des contacts locaux… La prochaine personnalité qui fera avancer l’Europe, c’est quelqu’un qui ne sera pas partie prenante pour un Etat.
A.L.R. : Quelle place à la cause animale dans votre programme ?
Y.G. : Nous sommes pour que l’Union européenne fasse des directives sur ces questions-là, notamment s’agissant des animaux d’élevages, la question des abattages, des transports – il y a, avec le grand marché commun, il y a énormément de bétail qui circule en Europe dans des conditions qui ne sont pas toujours optimales pour la santé, leur mode de vie, et – et c’est un peu égoïste – la qualité de la viande.
A.L.R. : Quand le citoyen lambda entend parler d’Europe fédérale, l’idée qui revient en boucle est celle d’un seul Etat à la place de 27 aujourd’hui. Or ça ne semble pas être tout à fait ce que vous proposez, pouvez-vous expliquer vos engagements avec précision ?
Y.G. : Effectivement. Il faudrait rappeler que le citoyen lambda est un citoyen lambda français. Ailleurs, le citoyen lambda allemand va parfaitement comprendre une Europe fédérale avec division des pouvoirs – des compétences exercées à Bruxelles et d’autres laissées aux États nationaux. Pareil pour un tchèque, un suisse, un autrichien ou un espagnol – il y a une grande décentralisation en Espagne.
C’est le cas aussi du Royaume-Uni, même s’ils sont en train de sortir, les Anglais comprennent parfaitement ce qu’est une Europe fédérale. Il n’y a qu’en France qu’on a du mal à s’imaginer dans un État avec deux capitales, une fédérale et une nationale se partageant les compétences.
C’est notre difficulté à nous, elle est là. C’est un travail de fond avec les Français, ce sont les seuls qui ont des difficultés à penser à un État fédéral. On a cette pédagogie à avoir auprès de nos compatriotes.
En France, on est très actifs sur les questions de décentralisation. On voudrait une France qui soit décentralisée, sur le modèle des Lander en Allemagne : un Conseil régional avec pas mal de pouvoirs et de ressources budgétaires, et de vrais projets en matière économique et sociale.
A.L.R. : Dans une interview donnée à Franceinfo, vous parlez de sortir du « système Union européenne » pour aboutir à une Europe fédérale. Etant donné que vous rejetez aussi la renégociation des traités (en prenant l’exemple de François Hollande), comment parvenir à l’Europe fédérale que vous défendez ?
Y.G. : Il y aura une Europe fédérale le jour où il y aura une Constitution. Je pense qu’il faudra sortir des traités pour aboutir à une Constitution européenne de type fédéral. Il y a eu un premier essai en 2005, mené par Valéry Giscard d’Estaing, ça a échoué. C’était peut-être trop tôt, peut-être que l’opinion publique n’était pas assez préparée à discuter de ces questions européennes, alors ça a été un très beau moment de débat citoyen.
Maintenant, je pense que l’idée fait son chemin. Je crois beaucoup à l’opinion européenne. Les européens ont une conscience politique citoyenne, les citoyens européens ne sont plus enclins à déléguer ces questions de construction européenne à Bruxelles. On le voit partout, il y a énormément de revendications : grandes manifestations en Grèce contre l’austérité, contre la troïka…
On voit très bien qu’il y a aussi plus de partis transnationaux qui se créent (Parti pirate, Volt Europa, DIEM25…) donc c’est un élément très important. Il y a une conscience politique européenne qui va pouvoir influencer les gouvernements, les citoyens européens dans leur choix, et d’ici 10 à 20 ans, on aura la possibilité, pourquoi pas, de se prononcer sur une Constitution européenne.
Ça touche les européens, mais aussi les anti-européens. Les souverainistes tissent aussi leur réseau en Europe (Marine Le Pen, Nigel Farage, Orban…). Il y a un militantisme européen qui commence à se créer.
A.L.R. : Donc la transition vers une Europe fédérale que vous défendez correspond à un changement de traité sur le modèle du passage du Traité de Maastricht et du Traité de Lisbonne ?
Y.G. : Nous, on serait plutôt pour une Constitution qu’un traité.
A.L.R. : Est-ce que vous étiez en faveur des listes transnationales, lorsque le sujet est arrivé en 2018 ?
Y.G. : Je suis assez enclin à ce genre de pratique. Il y a un moment où Macron m’a assez étonné parce qu’il t a eu un moment où il s’était opposé à une pratique de politique électorale transeuropéenne, ça m’avait un peu choqué.
Je suis assez optimiste. Dans la mesure où on est un parti transnational, il y a sur nos listes des belges, des autrichiens, des allemands, des tchèques… À terme, je pense qu’il y aura des citoyens de toutes les nationalités européennes sur ces listes, mais en attendant ça serait une bonne chose symbolique, qui ferait avancer les pratiques transnationales politiques.
A.L.R. : Vous souhaitez une « agence européenne de coordination de la protection sociale ». Est-ce une première étape vers des éléments économiques/sociaux comme le SMIC européen de Nathalie Loiseau ?
Y.G. : Pas vraiment, parce que Nathalie Loiseau propose un SMIC européen à l’échelle des 28. Pour nous c’est impossible, quand vous faites une moyenne, ça ne va pas peser lourd, les salariés français ne vont l’accepter sur une base médiane ou moyenne.
À mon avis, l’Europe sociale ne se fera pas à 28. Je pense qu’elle sera sur un noyau beaucoup plus réduit de pays. Je crois beaucoup aux cercles concentriques : on aura une Europe à 10-12 pays membres de la zone euro, et là-dessus on pourra parler d’Europe sociale. Sinon, je pense qu’on ne pourra pas créer de SMIC européen dans l’Europe des 28, aujourd’hui, voyez la directive travailleurs détachés… Elle organise le dumping social, je ne vois pas comment vous pouvez trouver une convergence sociale ou un SMIC européen.
Les États doivent garder leur système de protection sociale. Certains pays, comme le Danemark, en ont un très fort, et d’autres où il est plus ténu comme l’Italie. Il faut une harmonisation par le haut de ces systèmes de protection sociale, mais rien qu’entre la France et l’Allemagne ça sera très dur. Il n’y a pas longtemps de cela, l’Allemagne n’avait pas de salaire minimum.
Déjà, si on arrive à faire une harmonisation sociale dans un groupe pionnier avec des indicateurs économiques et sociaux très proches, je pense que ça sera déjà une bonne chose.
A.L.R. : Vous défendez la mise en place de services de renseignements européens : sera-t-il conçu à partir de services existants (si oui, lesquels), ou sera-t-il créé de toutes pièces ?
Y.G. : Ce serait à partir de services existants. On doit avoir une mutualisation des services de renseignement. La criminalité, les groupes terroristes circulent librement dans l’espace Schengen, et à un moment, il faut que la police puisse disposer des mêmes données partout, et circuler librement dans l’espace Schengen. Je suis pour un FBI européen disposant de tous les éléments sur les groupes terroristes et les trafiquants.
L’exemple le plus criant, c’est la tuerie du Bataclan. C’est une cellule née de Bruxelles, qui a acheté des armes en Allemagne, qui a commis son forfait à Paris et qui est remonté par l’autoroute A2, s’est fait contrôler à Valenciennes et a pu rentrer à Bruxelles.
Là, les gendarmes français n’avaient pas les informations, donc les terroristes ont pu reprendre la route et retrouver leur domicile bruxellois sans être inquiétés. Je pense que s’il y avait un FBI européen, ce genre de mésaventure n’existerait pas. On aurait pu coffrer ces terroristes.
A.L.R. : Vous sentez-vous proche d’une autre liste, comme celle d’Allons enfants, du Parti des citoyens européens, ou de la République en marche avec laquelle vous évoquiez des convergences ? Si oui, avez-vous tenté de négocier avec eux une liste commune ?
Y.G. : Je ne sais pas qui sont Allons enfants. Je connais le Pace, on a des vues communes sur certains points, après on a des différences sur la constitution d’un noyau dur au sein de l’Europe. Sinon la République en marche, on les soutient quand il y a de bonnes idées, mais ça ne va pas assez loin.
Quand on a une candidate qui dit dans une interview qu’elle n’est pas fédéraliste, donc en tant que président du Parti fédéraliste européen, je ne vais pas me retrouver avec une tête de liste qui dit qu’elle n’est pas fédéraliste. Macron avait dit la même chose en 2017. Moi, quand ça va dans le bon sens, qu’on me parle d’un gouvernement économique dans la zone euro, je soutiens.
Mais dès lors qu’au moment des élections on fait trois pas en arrière, je ne peux pas, c’est une question de cohérence politique. Je suis au PFE donc je vais défendre une politique purement fédéraliste, je vais miser par exemple pour l’attribution d’un siège européen au Conseil de sécurité de l’ONU alors que Mme Loiseau ne l’a pas proposé.
Avec des gens qui n’emploient pas ce terme, ou alors juste pour lisser leur image et ramasser des voix, nous préférons mener une liste de notre côté, portant haut et fort les couleurs du fédéralisme.
A.L.R. : Quelle est la principale qualité et le point faible de votre liste pour cette élection ?
Y.G. : La qualité, c’est la transparence, le nom porte de notre programme. On fait de la politique, on veut un niveau fédéral européen pour agir au niveau européen. On n’a pas qu’une liste en France, on a aussi des candidats partout en Europe, deux d’entre eux sont sur la liste d’Emma Bonino (+Europa) en Italie.
Le point négatif, c’est qu’on se heurte toujours à un plafond de verre médiatique, surtout chez l’audiovisuel public. On n’a jamais été contactés par Franceinfo ni France télévisions… Mais bon, c’est dans l’adversité qu’on trouve pas mal de ressources.
A.L.R. : Pour conclure, pourquoi faut-il voter Parti fédéraliste européen le 26 mai prochain ?
Y.G. : Parce que l’Europe fédérale, c’est l’avenir. On ne peut pas rester dans une situation où il n’y a pas d’Europe politique et diplomatique, où la gouvernance de la zone euro n’est pas top… Donc la seule façon de sortir l’Europe de l’ordinaire et que l’Europe défende les promesses des citoyens, il faut voter pour le Parti fédéraliste européen.