Médiaphobie : l'autre vent de la révolte

Publié le jeudi 7 novembre 2019Rédigé par Joël-Pierre Chevreux
Médiaphobie : l'autre vent de la révolte
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Dans ce dossier, Joël-Pierre Chevreux fait le point sur la relation entre les citoyens, les hommes politiques et les media. La notion de médiaphobie prend alors forme.

 

Confiance évaporée

Il règne, en France, un phénomène terriblement maussade envers les professionnels de la presse. Cette « médiaphobie » s’est intensifiée, notamment, avec le mouvement des gilets jaunes. De nombreux reporters se sont fait assaillir au cours des manifestations témoins d’une rupture de confiance balayée d’un revers de main jusqu’à l’exclusion de toute communication. Mais, c’est surtout envers les media que la méfiance s’accentue, le public préférant filmer les manifestations et diffuser ses vidéos en direct sur Facebook. Ce phénomène du soupçon et de la défiance n’est pas récent. Interrogée sur le crédit accordé aux média, une majorité de nos concitoyens évoque la diffusion d’événements relatés non conformes à la réalité, un manque de compréhension envers les reporters. Beaucoup croient que ces professionnels ignorent à quoi ressemble la vie des Français, leurs difficultés quotidiennes. Ils se trompent !

 

Critères de reproches

Ce scepticisme envers la presse et ses personnels est né avec son avènement. Le journaliste, médiateur, assure la transmission du message. Souvent, ses interventions sont vécues comme une trahison car le public se considère seul témoin crédible pour évoquer un évènement surtout depuis le développement des réseaux sociaux. Selon lui, tout intermédiaire retransmet d’une manière fragmentaire et « l’angle », seul aspect d’un sujet choisi, constitue son plus grand réquisitoire. Benoit, un gilet jaune de Caen, évoque : « la grande partialité des sujets... La presse n’appuie pas assez sur la personnalité des manifestants, elle mets trop en évidence la violence dans les rassemblements, passe rapidement sur la demande d’un nouveau type de référendum, n’insiste pas assez sur le cas des personnes blessées par des policiers ». Or, traiter toutes les dimensions d’un sujet, dans un court reportage, est impossible. Ce manque de temps pour la diffusion joue un rôle majeur dans le ressenti de Benoit comme tant d’autres personnes. Ce fait est aussi vrai pour l’écriture des articles et des reportages. Il est variable d’une heure à plusieurs mois pour enquêter sur un sujet ténébreux. Globalement, les journalistes disposent de moins en moins de temps pour puiser et vérifier leurs informations.

 

Le temps, c'est de l'argent

Car accomplir correctement son travail, pour un professionnel de la presse, est, aussi, une question de finance, comme dans toute entreprise. Or, les média, de moins en moins nantis, à cause d’un public avare au paiement de l’information, fournie gratuitement sur Internet, et à la restriction des budgets publicitaires, ressentent cette cruelle désaffection. Elle favorise les erreurs. L’histoire de la presse et des média en est bordée et le public à de bonnes raisons d’être indisposé. Mais qui, dans le courant de sa carrière, peut prétendre ne s’être jamais trompé ? Un médecin, un avocat, peut faire fausse route, un journaliste aussi. Certes, lorsque ce dernier commet une bévue, cela peut entrainer des effets négatifs sur la vie d’une personne par l’insuffisance d’informations, l’interprétation inversée d’un évènement ou l’exagération des faits. Généralement, les règles de base du journalisme, en l’occurrence, respectées, assurent la récupération de l’information et sa vérification auprès des sources sérieuses, au moins deux, garantissant toute crédibilité au message. Et si l’invention de l’information, dit : « bidonnage », choque et raccourcit aussi la confiance du public, faut-il le rappeler, que, avéré, il est souvent révélé par d’autres journalistes dénonciateurs des exactions... de leurs confrères, surtout lorsqu’il existe des soupçons de complicité avec des élus.

 

Rapport avec les élus

Le public n’ignore pas l’existence des rapports étroits entretenus par le journaliste avec les élus pour rapporter correctement les sujets et obtenir des informations pertinentes. Cette attitude nourrit un vrai rapprochement, pas nécessairement une complicité, laquelle pourrait être factrice de désinformation et de manipulation. Alors, oui, ces milliers de journalistes, ces centaines de média, lorsqu’ils sont indépendants, rassemblent de nombreuses façons de travailler, scrupuleuses. Des règles et des pratiques, pour la plupart, honnêtes, puisant des idées de sujets dans l’attention portée autour des journalistes, à travers leurs rencontres avec le public, leurs déplacements dans différents lieux, leur regard porté sur les réseaux sociaux, parfois, aussi, dans le contact direct.

L’agenda médiatique guide, le plus souvent, leur itinéraire avec L’A.F.P., ( Agence France-Presse ) et les attachés(es) de presse. Ces derniers tissant des liens entre une entreprise ou un personnage public ( artiste, député... ). Nonobstant, toute complicité d’adhésion, perceptible, avec des élus assure un déséquilibre de valeurs. La voie publique, lieux propices aux bastonnades et menaces, réveille alors des gravelures proférées envers les représentants de media suspectés de compérage : « Vendus ! », « Collabos ! », facturent un tableau désastreux comme dans d’autres temps encore moins glorieux !

 

Insultes et agressions

Franc-tireur, Stéphane, l’un de nos collaborateurs, en a injustement subit les licences. Collaborateur auprès de plusieurs media, régulièrement, il doit faire face aux insultes et aux menaces de mort. Il a couvert, régulièrement, les manifestations des gilets jaunes. « L’ambiance, envers nous, est irascible... », constate ce père de famille de trente et un ans, mais, refusant, toutefois, de tomber systématiquement dans la généralisation du phénomène. Tous les gilets jaunes n’expriment pas forcément l’agressivité. Au contraire, beaucoup viennent en aide aux journalistes et à leurs pairs face au péril. Cependant, le pire, Stéphane l’a essuyé, en novembre 2019, sur les Champs-Elysées, où une quinzaine d’hommes, en soirée, ont empêché son équipe de tournage de quitter les lieux. Couverts de crachats, d’oeufs nauséabonds, l’invective pleuvait abondamment, ce jour, comme tant d’autres. Insultes, provocation, coups violents portés au visage, la situation est intolérable. Alors, aujourd’hui, en réaction, Stéphane se rend aux manifestations accompagnés de trois agents de sécurité pour assurer sa protection. « Le public nous déteste sans véritable motif. Bien sûr, des erreurs sont commises, on se trompe, c’est humain. Nous ne sommes pas là pour mentir ou manipuler, mais pour faire avancer les choses, défendre des idées. Nous sommes accusés de déformer les propos, de ne mettre en lumière que les actes violents, de ne défendre que les élus, qui dirigent le pays. C’est à se demander à quoi nous servons ! »

 

À quoi servent les journalistes ?

De nos jours, n’importe qui peut filmer un événement dans la rue avec son téléphone portable, prendre des photos, rédiger un texte sur son blogue ou sur les réseaux sociaux. Alors, « A quoi servent les journalistes ? » s’enquiert naïvement Evelyne, d’Issy les Moulineaux. La jeune femme avoue, comme de nombreux jeunes, ne s’informer qu’auprès des réseaux sociaux... « Tant tout ce que l’on voit sur les chaînes publiques ou dans les journaux est transposé par ceux que çà arrange et qui veulent nous manipuler ! ». Mais, la population oublie que le journaliste n’est pas un simple intermédiaire comme l’internaute. Son rôle consiste à vérifier, analyser et expliciter les faits en respectant une charte d’éthique professionnelle, des règles à suivre pour accomplir son travail convenablement sans, pour autant, faire la communication du pouvoir, ni celle de l’opposition, des entreprises ou encore des syndicats. Informer correctement, soumettre un florilège de points de vues, ouvre une vision globale de la situation du pays et du monde. Ainsi, il remplit pleinement aussi son rôle de citoyen. Nous sommes très éloignés de la rencontre intrinsèque : internaute/internaute, soulignant, à tous crins, la liberté et leséparatisme de ses signataires bien plus que celle de la presse.

 

Presse indépendante

Mais, une presse dite : « indépendante », çà existe encore, même si ce modèle, à l’instar de nombreuses espèces animales, est en voix de disparition. il permet de s’opposer au pouvoir, de critiquer ses actions ou de les honorer lorsque elles témoignent d’un véritable sens humanitaire et social. Ce modèle démocratique, appelle ses professionnels à porter leur attention sur le comportement de nos dirigeants. Ainsi, par exemple, ils peuvent dénoncer les exactions de quelques-uns comme la présence d’un ministre chargé de la condition animale, présent à une corrida, en août dernier. C’est ainsi qu’évolue la presse. Elle ne se compare pas aux réseaux sociaux, par ailleurs indispensables à l’expression publique. Mais, en matière de liberté, la France, classée au 33° rang sur 180, accuse une baisse inquiétante dans le classement de Reporters Sans Frontières depuis ces dernières années. Ce bilan pose questions, notamment, si on le compare avec celui de la Norvège où elle est la plus probante. Ce pays arrive en tête du classement puisque les journalistes peuvent faire leur travail sans être inquiétés. Parfois, la révélation interdit, aussi, toute critique de produits ou services issus du mécénat d’un propriétaire de l’entreprise de presse, par ailleurs impliqué dans le secteur industriel ou commercial. Personne n’ignore plus l’appartenance de certains titres de média français à de puissants hommes d’affaires. Dans ce cas, l’impartialité est t’elle toujours respectée ?

 

On la ferme !

Parfois, l’équité n’est pas toujours de mise, notamment, lorsque, d’un côté, un media évoque les performances d’une entreprise industrielle ou commerciale, et, de l’autre, étouffe les dossiers éclairant les accusations portées à l’encontre du même propriétaire. Voilà pourquoi les lecteurs évoquent la dissimulation. Cependant, dans sa liberté d’expression publique, la France reste largement placée devant la Corée du Nord, l’Erythrée et le Turkménistan. Dans ces pays, et bien autres, les dirigeants neutralisent les actions des journalistes. Système intolérable ! Critiquer leur gouvernement est impossible et leurs dirigeants peuvent même être violents avec les peuples. Ici, nous dépassons les limites de la médiaphobie telle que nous la subissons dans l’Hexagone. Nous rentrons dans le chapitre de la liberté honteusement bafouée des droits de l’homme, comme en Russie, et dans bien d’autres Etats tyranniques où l’individu se voit encellulé pour raison politique. Mais, ceci est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons, ici, prochainement...

   

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