Présidentielle : Antoine Waechter s’exprime sur la faune sauvage
Nouveau soutien politique pour la figure incontournable de l’écologie politique : les animalistes du MHAN (Mouvement Hommes Animaux Nature) annoncent dans nos colonnes leur soutien à Antoine Waechter. L’occasion pour l’ingénieur écologue, fondateur des Verts, de partager son point de vue sur la protection des animaux sauvages.
Interview : Aloïs Lang-Rousseau
Infopremiere : Le M.H.A.N. annonce ce 15 novembre son soutien à votre candidature à l’élection présidentielle. Souhaitez-vous réagir à cette nouvelle ?
Antoine Waechter : Je pense que c’est une excellente démarche. Nous sommes des partenaires depuis de nombreuses années, je pense qu’il y a une convergence de vue. Le M.H.A.N., bien évidemment, a une spécificité dans la mesure où il met beaucoup plus l’accent sur la protection animale que le M.E.I. qui a un projet plus large. Mais le M.H.A.N, lui aussi, a finalement adopté cet élargissement du propos, qui est nécessaire quand on aborde la fonction publique, en particulier, dans des élections législatives.
I.P. : Vous prenez position, depuis longtemps, pour la préservation de la faune sauvage. De nombreux points sont développés dans un texte publié par le M.E.I. en 2006. Parmi eux : la pratique des « lâchers » d’animaux d’élevage. Vous en soulignez les conséquences désastreuses sur la nature comme les modifications génétiques, les concurrences territoriales ou alimentaires ou les risques d’épizooties. Pouvez-vous détailler cette prise de position ?
A.W. : Ces lâchers d’animaux ont pour finalité, essentiellement, d’alimenter la chasse. La chasse, aujourd’hui, essaie de trouver une justification dans la régulation de certaines espèces, ce qui en l’absence de grands prédateurs n’est pas totalement faux. Mais, il est évident qu’à partir du moment où l’on lâche des animaux simplement pour les tirer, cette justification n’existe plus. Nous sommes donc en contretemps. Après, le lâcher d’animaux en termes de chasse, présente un intérêt parce que bien souvent ces animaux n’ont pas acquis les réflexes qui leur permettent d’être plus difficiles à atteindre. Mais, il peut y avoir aussi des interférences avec la faune sauvage, il peut y avoir des animaux qui finissent par s’acclimater et devenir, le cas échéant, des espèces invasives. Bref, en tout état de cause, c’est une manipulation du milieu naturel qui n’est absolument pas acceptable.
IP : Vous estimez, par ailleurs, que la catégorie de « nuisibles » n’a pas de sens dans la nature, puisque les espèces qui y sont classées sont utiles à la nature. Dans quelle mesure ?
A.W. : Toute espèce existant aujourd’hui est le résultat d’une évolution de plusieurs millions d’années. Cette évolution a créé, en quelque sorte, des liens trophiques entre les différentes espèces, ce qui constitue l’équilibre de l’ écosystème, son fonctionnement. Chaque espèce dans ce contexte là a son utilité. Bien évidemment, parfois, et dans un contexte de nature modifiée par l’Homme, il peut y avoir des surabondances qui peuvent devenir gênantes, c’est vrai. Mais de manière générale, toutes les espèces ont leur fonction dans cet écosystème, et par conséquent, le terme « nuisible » est totalement inadapté.
I.P. : Le M.E.I. estimait, en 2006, que l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (devenue une composante « chasse » de l’Office Français de la Biodiversité) était mieux placé pour répondre à la question de la régulation, mise sur le devant de la scène par de nombreuses organisation de chasse. Quelle est l’action concrète de cette entité ?
A.W. : L’Office National de la Chasse était, dans son origine, une émanation des fédérations de chasse. Progressivement, elle a basculé dans une démarche beaucoup plus étatique, beaucoup plus administrative ; aujourd’hui, sa principale fonction est de protéger la biodiversité. Après, est-ce que cette fonction de régulation doit être assumée par cette partie de l’Office Français de la Biodiversité ? C’est poser en réalité la question du devenir de la chasse. Je ne suis pas certain aujourd’hui que l’on puisse envisager, d’un trait de crayon, la disparition d’une activité comme celle-ci. La régulation des espèces doit se faire à travers les mesures de protection de la plupart d’entre elles : interdiction des tirs d’une part, et d’autre part à travers les quotas, qui existent d’ailleurs déjà pour certaines espèces. Ce sont, par exemple, les bracelets que l’on doit mettre quand on a tiré un chevreuil. La partie « chasse » de l’O.F.B. a pour rôle de vérifier que ces quotas sont respectés, et que la chasse soit réalisée dans de meilleures conditions de sécurité et d’éthique.
I.P. : Les aires protégées et parc nationaux sont-ils suffisamment nombreux ou doivent-ils être étendus ?
A.W. : La France est relativement bien dotée en matière de parc nationaux. L’essentiel, me semble t-il, c’est que l’on y respecte des zones de libre évolution. Il y a eu, il y a un demi-siècle, un grand débat entre [Bernard] Charbonneau et Robert Hainard. Hainard pensait que l’évolution de la technologie et l’accroissement de la productivité, permettrait d’avoir, d’un côté, des espaces en libre évolution dans lesquels on n’intervient plus, et de l’autre des espaces que l’on exploite de manière intensive, ne serait-ce que pour assurer la couverture alimentaire de la population. Charbonneau pensait, au contraire, que la nature devait interpénétrer toutes les activités humaines, et que cette vision schématique du territoire n’avait pas lieu d’être. Il est vrai que les deux auteurs n’étaient pas immergés dans le même milieu. Robert Hainard était suisse, peintre, vivant dans un environnement densément peuplé et artificialisé. Il avait été particulièrement choqué par l’aménagement du Rhône et quelques autres milieux naturels. Pour lui, qui a été un observateur des grandes espèces de mammifères, l’idéal, c’était ces milieux naturels où l’Homme n’intervient plus. Au contraire, pour Charbonneau, localisé en pays basque, l’ours faisait naturellement partie d’une proximité avec l’activité agricole, et il ne voyait pas d’intérêt d’avoir des milieux sans humains. Bien au contraire, il pensait que la nature, l’ours, le lynx.. devaient pouvoir vivre à proximité de l’Homme. Je pense qu’on doit avoir une vision mixte entre ces deux. Il doit y avoir, d’un côté, toute une trame d’espaces en libre évolution, et même idéalement à l’échelle de chaque commune, même si ce n’est qu’un ou deux hectares dans la forêt communale, on peut trouver partout des espaces de libre évolution, que l’on appellerait, dans la trame verte et bleue, des noyaux de biodiversité. Et de l’autre côté, des espaces où l’on trouve une synthèse entre l’activité humaine et la présence de biodiversité la plus élevée possible. Je crois que c’est cette situation qu’il convient d’envisager. Il ne faudrait pas qu’à travers une vision de zones protégées, l’on puisse considérer que tout le reste ne serait pas digne d’intérêt. La biodiversité fait partie de la qualité de notre environnement, donc chacun doit pouvoir avoir une faune riche et diversifiée à proximité de son domicile.
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I.P. : Une pétition sénatoriale, dont la période de recueil des signatures est en cours. Elle préconise, notamment, des dimanches et des mercredis sans chasse, un meilleur contrôle et suivi de la formation et des armes de chasse ainsi qu’une réévaluation des sanctions pénales. Vous retrouvez-vous dans cette démarche ?
A.W. : Oui, totalement. D’ailleurs je n’arrive pas à comprendre ce débat parce qu’il me semblait que cela faisait un certain nombre d’années qu’il y avait régulièrement un jour sans chasse. Il est vrai que ma perception de la chasse est peut-être différente de celle que l’on a dans le reste du pays. Nous avons, en Alsace et en Moselle, une loi très différente. En Alsace et en Moselle, ce sont des locations de chasse. Les terres de l’ensemble des propriétaires sont en quelques sorte mutualisées dans un pot commun, et c’est la commune qui assure la location de ce territoire à des chasseurs. L’argent récolté par la commune servira à payer les assurances agricoles pour les propriétaires du territoire. Dans le cadre de ces locations, qui ont lieu une fois tous les neuf ans, il y a une véritable négociation avec les chasseurs. Je le vois dans ma commune, où l’on se retrouve une à deux fois dans l’année. À ce moment là, des discussions sont alors possibles. Dans un contrat de chasse signé en son temps, nous avons désigné des terriers de blaireau où le chasseur admettait qu’il puisse y avoir des observateurs au moment où les blaireaux ont des jeunes et qu’il est facile de les observer. Dans ce contexte-là, même chose pour les jours sans chasse : ça fait partie d’une négociation. Donc, cela me paraît totalement naturel qu’il y ait des journées où l’on retrouve le plus de promeneurs dans la nature, pour ne pas les placer en situation de danger en présence de chasseurs. Je rappelle que même si les chasseurs peuvent considérer qu’il n’y a pas de danger, parce qu’ils auraient pris toutes les mesures nécessaires, entendre des tirs et/ou voir des chasseurs est une situation de stress qui ne correspond pas à l’objectif de sérénité que le promeneur peut avoir lorsqu’il se promène.
IP : Êtes-vous favorable à l’extension de cette exception alsacienne et mosellane à l’ensemble du territoire français ?
A.W. : C’est un gros débat. Sur l’ensemble de la France, la chasse est considérée comme un acquis de la Révolution Française. Tout cela a plus de deux siècles, ne correspond plus à l’activité d’aujourd’hui, la population de chasseurs diminue... Pour moi, la chasse peut, dans sa pratique, trouver sa justification dans des régions où la densité de population est relativement faible, et où l’on accède à une forme de déclin de la relation sociale telle qu’elle a pu exister auparavant. Je l’ai vu, en particulier dans le Gévaudan : la chasse était un prétexte pour se retrouver, être dans la nature. C’était un des derniers éléments auxquels les gens se raccrochaient. Le reste était en voie de déclin. Par contre, là où la chasse devient éthiquement inacceptable, c’est lorsque ce sont des urbains qui viennent dans des territoires pratiquer une forme de loisir. Là, il n’y a plus de relation avec une identité territoriale, et le plaisir de porter un fusil et de tirer sur un animal ne me convient guère. À un moment donné l’on croyait que la démographie cynégétique était en diminution, c’est évident que si l’on voit des citadins qui n’ont aucun lien avec le territoire dans lequel ils chassent, alors ça devient compliqué, et c’est là qu’il y a une action à mener.
I.P. : Les animaux marins souffrent, eux aussi, de la dégradation de leur écosystème, notamment du fait de l’activité humaine. Que proposez-vous afin de protéger les fonds marins et les espèces s’y trouvant ?
A.W. : Là aussi, finalement, des secteurs protégés me paraissent nécessaires. Cette protection doit aller jusqu’à interdire la circulation de véhicules à moteur. C’est une chose que l’on a peut-être sous-estimée dans le passé, mais l’existence des activités humaines en surface se traduit par des ondes sonores, qui viennent perturber la communication des animaux aquatiques. Par conséquent, c’est aussi un aspect dont il faut tenir compte. Je pense que jusqu’à présent l’on s’est plus intéressé au milieu terrestre, ce qui est normal, qu’au milieu marin. Il faut aujourd’hui, en effet, que l’on tienne compte des exigences physiologiques de toutes les espèces qui y vivent. C’est un premier élément. Le second, au-delà de tout cela, c’est évidemment l’exploitation intensive de la ressource piscicole, à travers notamment les grands chaluts. Il y a vraiment des quotas importants à instaurer. Et au-delà des capacités réglementaires que peut avoir l’Europe, ce sont des grands dossiers qu’il convient de négocier à l’échelle planétaire, dans la mesure où ces grands bateaux ne connaissent pas nécessairement les frontières dans ce domaine.
I.P. : Le sujet de la faune sauvage peut également nous conduire, dans certaines situations, à évoquer l’élevage, notamment le commerce de la fourrure. Souhaitez-vous l’interdire sur le territoire national, et si oui, l’appliquer aux importations ?
A.W. : Je réponds oui sur l’interdiction sur le territoire national, et oui sur les importations.
I.P. : Que pensez-vous de l’aquaculture ? Êtes-vous favorable à son interdiction ?
A.W. : Si vous mangez du poisson, soit vous allez chercher du poisson en mer, soit vous l’élevez. La question est de savoir ce qui est le plus favorable, d'une part, pour la conservation des populations de saumon, et d’autre part, ce qui est le plus favorable pour l’alimentation humaine. La difficulté, lorsque vous achetez du poisson, à l’heure actuelle, vous avez plusieurs paramètres. Le premier, les commerces s’y sont, d’une certaine manière, adaptés : quel est l’état des populations ? C’est de limiter la consommation des espèces qui sont en voie de raréfaction. Le deuxième, c’est également les pollutions qui sont transmises, notamment lorsque vous avez de gros prédateurs – le saumon en est un – et que vous avez des eaux polluées en pleine mer, vous avez une accumulation de ces polluants dans la chair de ces poissons. Dans le même temps, lorsque vous avez des poissons qui sont élevés, la question est de savoir comment, avec quelle nourriture. Et que ce soit l’élevage des poissons, ou l’élevage des porcs ou des poules, ce sont les conditions d’élevage qui importent, les conditions de mise à mort. Ce sont des éléments aussi qu’il convient de réglementer. Mais je ne suis pas, à priori, hostile à l’aquaculture, parce que ça reste, malgré tout, une alternative au prélèvement en pleine mer.