L'affaire des " fiancés " assassinés de Fontainebleau
L'affaire des fiancés assassinés de Fontainebleau
LA FAILLITE DE LA JUSTICE
Depuis 35 ans, l’affaire des « fiancés assassinés de Fontainebleau » hante les couloirs du palais de justice d’Évry (Essonne). Ce triple meurtre n’a jamais été résolu. Il ne le sera jamais pour cause de prescription judiciaire… alors qu’il existe des témoignages récents de nature à définir une nouvelle piste. Depuis 35 ans, cette même affaire des « fiancés assassinés de Fontainebleau » hante également la mémoire de Christian Porte, journaliste d’investigation et écrivain, spécialiste du monde de la police et de la justice qui a travaillé sur les grandes affaires criminelles de ces dernières décennies, de l’enlèvement de Ben Barka à l’attentat contre l’Hyper Cacher à Saint-Mandé, en passant par le rapt du baron Empain ou … « l’affaire des fiancés assassinés de Fontainebleau », bien décidé à faire toute la lumière sur cette tragédie pour éviter que de tels faits ne se reproduisent pas : c’est tout l’enjeu de « sa » campagne pour que soit inscrit le principe de l’imprescribilité des crimes de sang et viols…
L'enquête en cours : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser plus spécifiquement aux affaires criminelles ?
Christian Porte : Dis-moi quels sont tes faits divers et je te dirais dans quelle société tu vis… Depuis la nuit des temps, le fait divers marque son époque. Les plus spectaculaires sont gravés à tout jamais dans la mémoire collective, de l’assassinat du roi Henri IV par le fanatique Ravaillac à la tuerie du Bataclan par les terroristes de l’État Islamique (EI), en passant par tous ces criminels dont les noms témoignent de la violence de notre société : Lacenaire, Jack l’Éventreur, Bonnot, Landru, Al Capone ou encore les sœurs Papin, Pierrot-le-Fou et Jacques Mesrine. Un fait divers, c’est fait de chair, de sang, de larmes, de douleurs. C’est toujours un choc émotionnel. C’est la société humaine à l’état brut ! Il se présente comme une histoire concise qui fait sauter les normes de l’ordre social ou du comportement.
E.E.C. : Vous êtes LE spécialiste reconnu d’une affaire criminelle particulièrement trouble : celle des « fiancés de Fontainebleau ». En quoi consiste cette affaire ?
C.P. : Lundi 31 octobre 1988, Gilles Naudet, employé de banque à l’agence de Créteil du Crédit mutuel (Val-de-Marne), Anne-Sophie Vandamme, sa compagne, assistante sociale au sein d’un office d’HLM dans les Yvelines, tous deux âgés de 25 ans, passent le week-end de la Toussaint dans la résidence secondaire des parents du jeune homme à Bois-le-Roi (Seine-et-Marne). Profitant d’une météorologie particulièrement clémente pour la saison, Gilles, Anne-Sophie, accompagnés de leur jeune chien Berger des Pyrénées Dundee, partent pique-niquer en forêt de Fontainebleau, dans le massif des Trois-Pignons, aux limites des départements de la Seine-et-Marne et de l’Essonne, direction du GR 11, dans le secteur du Coquibus. Vers 14 h, un chasseur les aperçoit se diriger vers le plateau du Coquibus. C’est la dernière fois que le couple et leur chien sont vu vivants. Ils seront découverts mardi 10 janvier 1989, vers 12h15, par un groupe de chasseurs qui remonte la piste d’un sanglier blessé. Sur la lande désertique couverte de bruyères du secteur de la Mare-aux-joncs, dans le massif des Coquibus, sur le territoire de la commune de Milly-la-Forêt (Essonne), il y a là deux corps : ceux d’un homme et d’une femme gisant dans un petit trou d’eau. Il y a aussi le cadavre d’un chien. Quelques branches de fougère disposées sur les corps tentent de les dissimuler à la vue.
E.E.C. : Pourquoi vous êtes-vous particulièrement attaché à cette affaire ?
C.P. : Le hasard a voulu que j’accompagne les gendarmes lors de la grande battue mobilisant 800 personnes dans les jours qui ont suivi la disparition d’Anne-Sophie et de Gilles. Ce jour-là nous sommes passés précisément à hauteur de la mare-aux-joncs sans rien découvrir de particulier. Or, deux mois plus tard, le 10 janvier 1989, c’est très exactement à cet endroit que sont retrouvés les corps du couple et de leur chien, criblés de balles 22 Long Rifle… Ce déplacement post mortem confirmé par le procureur de la République ne peut que soulever bien des interrogations sur le scénario possible du meurtre des deux jeunes gens.
E.E.C. : Faute de mettre en lumière une piste plutôt qu’une autre, les rumeurs les plus folles commencent à circuler.…
C P : C’est ainsi que je m’intéresse à la ressemblance physique frappante qui existe entre Gilles Naudet et… Alaa Moubarak, le fils aîné du président égyptien que je révèle. « C’est vrai que notre fils ressemble à celui du président Moubarak, on lui en fait souvent la remarque » me confient ses parents. Le jeune guichetier du Crédit mutuel a-t-il été victime d’une « erreur de ciblage » de la part des membres d’un commando qui projetaient d’enlever et d’exécuter Alaa Moubarak ? Le sujet est d’autant plus sensible que le président égyptien possède une villa à quelques centaines de mètres de celle de la famille Naudet ?
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La forêt de tous les dangers
Autre hypothèse avancée : celle d’une « mauvaise rencontre » qu’auraient fait les deux jeunes gens. Deux ans plutôt une cache d’explosifs appartenant à une filière terroriste iranienne ayant commis une série d’attentats en Ile-de-France a en effet été découverte dans ce secteur du massif des Trois-Pignons. Les fiancés disparus se sont-ils retrouvés nez-à-nez avec des membres de cette filière ? C’est l’heure d’une première question embarrassante : les corps viennent d’être découverts dans un secteur qui a été minutieusement fouillé deux mois plus tôt, lors de la gigantesque battue du vendredi 4 novembre 1988 … Je peux en attester puisque ce jour-là j’avais accompagné les gendarmes de la compagnie de Corbeil-Essonnes dans ce fameux secteur désertique du plateau du Coquibus, et plus précisément encore aux abords du GR 11 et de la Mare-aux-joncs. Or, le ratissage de cette zone n’avait rien donné ? La pertinence de cette question se trouve confortée par le communiqué publié par le parquet d’Évry dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 janvier dans lequel le procureur Roger Lucas évoque ouvertement « le déplacement post mortem » des trois corps !
Achevés à bout portant
Les examens médico-légal concernant Anne-Sophie Vandamme conclut à « une mort consécutive à une blessure cervicale haute par projectile d’arme de calibre 22 Long Rifle. Le tir a été dirigé de droite à gauche sur un axe approximativement horizontal ». Par ailleurs, il est relevé « l’existence de deux autres plaies en séton de même origine située au niveau du cou et de l’auriculaire gauche ». L’analyse radiologique révèle la présence d’un projectile situé « au niveau de la charnière cervico-occipitale en arrière de l’ontodoïte » Le rapport concernant Gilles Naudet conclut de son côté à une mort consécutive à « une blessure cranio-encéphalique par coup de feu, de projectile de petit calibre tiré dans la nuque » ; parallèlement, les experts constatent la présence de « quatre autres plaies de même origine en séton occipitale et cervicale, au niveau du massif facial et de l’épaule gauche ». L’examen radiologique note la présence de projectiles crâniens : ces fragments de projectiles se situent « au niveau du frontal, au niveau de la base du crâne dans la région occipitale basse, et au niveau de l’épaule gauche dans la région sous-acromio claviculaire ». Quant au rapport médico-légal concernant Dundee, il évoque « une mort consécutive de blessures par projectiles d’armes à feu de petit calibre [de type 22 Long Rifle] tirés de gauche à droite, lesdites blessures ayant été constatées respectivement dans la tête et le thorax ».
L'uilisation prohibée du 22 Long Rifle
Un détail va cristalliser l’attention des enquêteurs : Gilles, Anne-Sophie et Dundee ont été « achevés » d’une balle tirée à bout portant dans la nuque. Près d’un mois d’attente est encore nécessaire avant que n’arrive le rapport d’expertise balistique établi en date du mardi 15 mars. Ce dernier précise que « deux douilles ont été percutées dans une même arme pouvant être une carabine Unique X 51 bis », « huit douilles ont été percutées dans une même autre arme non identifiée pouvant être une carabine ou un pistolet ». À compter de cet instant, juge et gendarmes savent que le couple et son chien sont tombés sous les balles de deux tireurs, le premier, supposé debout face à Gilles Naudet et le second placé à droite de la victime. Des tueurs particulièrement déterminés qui ont utilisé des armes de calibre 22 Long Rifle dont l’utilisation est prohibée pour la chasse.
Des chasseurs braconniers...
C’est le début d’une longue enquête conduite successivement par trois juges évryens et les militaires de la Section parisienne de recherches de la gendarmerie. Les mois passent sans qu’aucun indice matériel ne soit découvert… Le mystère s’épaissit chaque jour un peu plus ! Divers éléments apparaissent pour le moins troublant. Comment expliquer que les gendarmes et militaires qui ont passé ce secteur au peigne fin lors de la gigantesque battue mise en œuvre le vendredi 4 novembre n’aient rien découvert ? Comment comprendre que l’équipage aguerri d’un hélicoptère de la gendarmerie n’ait pas décelé la présence des corps d’Anne-Sophie et de Gilles, aisément repérables sur cette lande désertique, malgré plusieurs survols à très basse altitude de la zone ? Incompréhensible !Autre constat : tout au long de l’année, les promeneurs, randonneurs chevronnés et autres vététistes, sans oublier les cavaliers et les chasseurs, investissent le plateau du Coquibus à la découverte de son environnement, de sa faune et de sa flore, empruntent le GR 11 qui serpente aux abords de la Mare-aux-joncs. Comment concevoir que personne n’ait découvert les corps et donné l’alerte ?
L’enquête s’éternise…
Durant une décennie, l’instruction judiciaire stagne jusqu’à ce jeudi 11 février 1999, quand des enquêteurs frappent à la porte d’un appartement de l’ancien Hôtel des Princes, rue Jules-Ferry à Montpellier. Le locataire est interpellé sans opposer de résistance : il s’agit d’un nommé Cédric. Plusieurs armes sont saisies. Selon les enquêteurs, cet individu « pourrait être impliqué » dans la tuerie de la Toussaint 1988. Le jeune homme nie être impliqué de près ou de loin dans les meurtres d’Anne-Sophie Vandamme et de Gilles Naudet, mais donne plusieurs versions des faits, tantôt extrêmement précises, tantôt passablement confuses, impliquant son père ou un chasseur du secteur; Au terme de cette interminable instruction judiciaire, force est d’admettre que la montagne a accouché d’une souris ! À l’exception des aveux rétractés de Cédric, le dossier sonne creux. Pire, d’inexplicables zones d’ombre persistent sur le déroulement exact de la tragédie et des minutes voir des jours qui ont suivi… Oubliée la thèse des deux tireurs ! Oubliées les invraisemblables confidences d’un détenu ! Oubliées les traces ADN non identifiées !
Lundi 19 novembre 2001, à l’ouverture du procès, Cédric est bien seul dans le box des accusés. Durant une dizaine de jours, Alain Verleene, président de la cour d’assises, personnalité incontournable du monde judiciaire, conduit les débats avec un professionnalisme salué des deux côtés du prétoire.
Vendredi 30 novembre 2001, peu avant 20 h, après en avoir délibéré pendant quatre heures trente le jury fait son retour dans la salle d’audience pour rendre son verdict. Le président Verleene annonce que la cour d’assises prononce… l’acquittement de Cédric ! Le mot claque comme la détonation d’une arme de chasse dans le silence assourdissant de la salle d’audience du palais de justice d’Évry. Treize ans presque jour pour jour après la disparition des « Fiancés assassinés de Fontainebleau », le fiasco est total pour la gendarmerie nationale, sa prestigieuse Section de recherches de Paris et les trois magistrats qui ont eu en charge l’instruction de ce dossier !
En 2011, la prescription devient effective. Entre des enquêteurs de la gendarmerie convaincus qu’ils ont identifié le coupable sans toutefois apporter la moindre preuve de nature à le confondre et une justice qui renonce à faire toute la lumière sur le dossier, l’histoire des « Fiancés assassinés de Fontainebleau » a rejoint la cohorte des crimes impunis qui jalonnent notre quotidien, chaque année, apportant son lot de nouvelles affaires qui finiront à leur tour par quitter l’avant-scène médiatique pour croupir à tout jamais sur les rayons poussiéreux des archives de telle ou telle juridiction sans avoir été élucidées.
D.H.
https://www.editions-jpo.com/fr/accueil/254-les-fiances-de-fontainebleau-9782373011562.htmlPhotos © Cpo com
Le droit à l’imprescriptibilité des crimes de sang
Si chacun admet qu’une enquête puisse ne pas aboutir faute d’indices matériels, il en va tout autrement lorsque la justice renonce à faire toute la lumière sur un crime au motif de prescription (une disposition prévue à l’article 6 du Code de procédure pénale) alors que surgissent de nouveaux éléments de nature à élucider un crime comme dans le cas de l’affaire des « Fiancés assassinés de Fontainebleau », par exemple. Ce n’est acceptable ni humainement, ni socialement !
Le principe de l'imprescriptibilité est aberrant
En France, on estime que sur 1000 homicides commis annuellement, 150 à 200 ne sont pas résolus. Tragique réalité que celle de tous ces « oubliés de la Justice » qui ont perdu un mari ou une épouse, un fils ou une fille, un père ou une mère dans des circonstances criminelles jamais élucidées. Comment expliquer aux parents que la mort de leurs enfants est passée par perte et profit ? Quels mots utiliser pour expliquer l’incompréhensible ? « Quand il y a meurtre ou assassinat, le principe de la prescription est aberrant », dénoncent les associations d’aide aux victimes.Parce que sans vérité il n’y a pas de justice, la prescription est perçue comme un abandon par la justice de ses devoirs, un signe d’indifférence, pire, le déni d’une reconnaissance des victimes, un manquement à un devoir de mémoire.
Face à cette réalité, Jacques Pradel et moi-même militons pour le principe de l’imprescriptibilité des crimes de sang.
« A la suite des états généraux de la Justice lancés par le président de la République le 18 octobre 2021, le plus important pour moi serait d'abord d'ouvrir le débat sur ce sujet particulièrement important pour les proches des victimes » souligne Jacques Pradel. « En effet, si on se réfère à l'affaire des Fiancés de Fontainebleau (mais il y aurait bien d'autres exemples), après le procès et l'acquittement de l'accusé, l'action de la Justice s'est éteinte et la prescription intervenue dix ans plus tard laisse donc impuni définitivement le ou les auteurs du crime ! Pourtant il y a bien toujours deux victimes d'un crime impuni ! ».
Plusieurs solutions apparaissent :
- Abolir par la loi la prescription pour les crimes de sang passibles d'une peine de plus de 20 ou 25 ans de réclusion (à définir).
- Décider par la voie réglementaire (décret du garde des Sceaux, gouvernement ou autre) que le dossier ne peut pas être fermé par le juge d'instruction chargé de l'affaire, tant que le ou les auteurs n'ont pas été identifié(s).
- Obtenir un consensus de la chaîne judiciaire pour repousser la prescription par des actes interruptifs, pour que l'enquête se poursuive en attendant qu'un éventuel fait nouveau autorise la Justice à relancer les investigations comme dans l'affaire de l’identification de la fillette de l'autoroute A10 survenue plusieurs années après le drame, l’arrestation du Grêlé après 20 ans de cavale, etc.
Ne pas oublier les victimes et elurs proches
« La recherche d'un consensus de la chaîne judiciaire serait certainement la plus simple à mettre en œuvre. Elle a déjà permis de résoudre des affaires anciennes (voir ci-dessus), mais il faudrait l'institutionnaliser (ce qui n'est pas simple non plus) ! Une telle décision serait un signal fort en direction des victimes et de leurs proches, qui se sentent toujours "abandonnés" par l'institution judiciaire " estime Jacques Pradel. On pourrait aussi aborder dans cet éventuel débat, qui réunirait des justiciables, des magistrats et des représentants des services d'enquête, la possibilité de révision d'un procès après une décision d'acquittement, ne serait-ce que pour permettre la relance des investigations (exemple : les Fiancés de Fontainebleau) et de ne pas laisser des crimes impunis à perpétuité ! Par deux fois, en avril 2019 et en janvier 2022, nous avons saisi M. le Président de la République sur ce dossier. Par deux fois son chef de Cabinet a assuré que le Président a été « attentif » aux préoccupations que nous avons exprimées, demandant à chaque fois au Garde des Sceaux, ministre de la justice. « Vous serez tenu directement informé par leurs soins de la suite susceptible d’y être réservée… ». A l’évidence, ni Nicole Belloubet, ni Éric Dupont-Moretti ont estimé que le sujet méritait réflexion puisque l’un et l’autre n’ont pas estimé utile d’accuser au minimum, réception de notre proposition !